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Innovation en management, le miroir aux alouettes ? par Sonia Adam-Ledunois


Nombre d’entreprises sont en quête de recettes pour faire face aux différents défis auxquels elles sont confrontées : améliorer l’empowerment des collaborateurs, transformer l’organisation et accompagner la transition digitale, accélérer le rythme des innovations, impulser des logiques d’intelligence collective, susciter l’adhésion des collaborateurs ou réussir le on boarding des nouveaux talents. L’innovation managériale serait LE remède aux maux de l'entreprise, LA solution pour faire mieux avec moins. Il faudrait réinventer l’organisation et les méthodes de management. De nombreux managers et DRH sont ainsi soumis à l’injonction d’innover en management, de rompre avec les habitudes, de remettre en cause autant les pratiques que le rôle des acteurs ou la philosophie de management structurant l'action collective. Car le management est d'abord une science de l'action collective organisée, en témoignent les écrits précurseurs d'auteurs comme Follett, Fayol, Taylor ou Barnard au début du XXème.

Ces dernières années ont vu fleurir de nombreuses innovations en management, avérées ou présentées comme telles :

L'innovation managériale n’échappe pas à une forme d'engouement et s’expose elle-aussi aux phénomènes de mode avec toutes les limites inhérentes. Des entreprises adoptent massivement et de façon quasi-simultanée de mêmes nouvelles techniques et pratiques de management. Si ce mimétisme n’est pas nouveau (le management scientifique s’est rapidement imposé comme modèle dominant au cours du XXème siècle), le rythme d’adoption d’innovations en management est inédit. Cela peut d’ailleurs conférer à une quête frénétique de nouveautés… pour la nouveauté. Les raisons de cet attrait pour l’innovation managériale sont multiples et variées, nous pouvons en citer quelques-unes. Les entreprises veulent faire la démonstration qu’elles sont à la hauteur, notamment aux yeux des investisseurs, actionnaires, salariés, fournisseurs ou clients ; adopter de nouvelles approches de management serait un levier de renforcement de respectabilité, de légitimité autant que de compétences (1). L’environnement concurrentiel, la chrono-compétitivité notamment, la course à l’innovation et à la réduction des coûts, exigent des organisations plus réactives et agiles, plus frugales (2). Le rapport au travail et les attentes des collaborateurs ont évolué, pour mettre l’accent sur le sens, la montée en compétence, la logique projet et des carrières construites comme une course d’étapes, rompant avec le modèle dominant de l’emploi à vie du XXème siècle. Si l’entreprise marchande veut continuer à être respectée et attirer de nouveaux collaborateurs dans une société animée par de nombreux débats et réflexions sur les enjeux sociaux et environnementaux, elle se doit de faire évoluer ses approches et sa proposition de valeur à destination des collaborateurs (3). La course aux talents et aux profils rares est une réalité pour les grands groupes ; conquérir les diplômés de grandes écoles est devenu une gageure et la qualité des missions ou les possibilités d’évolution professionnelle ne suffisent plus pour séduire. Alors que l’entreprise a longtemps été tournée exclusivement vers son marché et sa capacité à conquérir de nouvelles parts de marché, elle se doit également d’engager des actions pour conquérir et fidéliser ses collaborateurs.

Si les entreprises ont de nombreux défis à relever, elles doivent néanmoins raison garder dans leur transformation et appréhender avec mesure et discernement l’innovation en management. Il n’y a pas de recette miracle et ce qui fonctionne dans certains contextes peut s’avérer inopérant voire contre-productif dans d’autres. Ceci est vrai pour les entreprises comme pour les organisations publiques ou les associations. La pression excessive au changement et à la quête de la solution idéale est rarement bonne conseillère et peut conduit à un empilement de nouveautés (nouveau système de recrutement, nouvelles interfaces, nouvelle organisation de l’innovation, nouvelle méthode d’évaluation ou de feedback, nouvelle structuration, etc.), sans réelle mise en cohérence les unes avec les autres ni mise en adéquation avec l’existant. La prise en compte de l’existant est pourtant essentielle et ce, sur différents registres : méthodes de management et outils déjà en usage, culture de l’entreprise et valeurs structurantes, hiérarchisation et jeux de pouvoir en place au sein de l’organisation, notamment. Il faut également conserver à l’esprit que toute nouveauté, en management comme dans d’autres domaines, a besoin de temps pour rentrer dans les usages, trouver sa place dans les pratiques et dépasser les appréhensions de la première heure. L’implémentation d’une innovation en management exige du temps et des efforts, plaçant les managers intermédiaires et de proximité en première ligne dans ce processus.

Le marché des innovations en management est vaste et la tentation est grande de céder au chant des sirènes. Adopter une innovation managériale simplement parce qu’elle est à la mode ou parce qu’elle est parée de mille vertus, c’est faire peser sur l’organisation et ses acteurs plusieurs risques : risque d’échec, risque d’épuisement face à cette énième nouveauté, risque d’incompréhension, risque de désengagement, risque de dysfonctionnement.

Conservons à l’esprit que toute innovation en management que l’on envisage d’adopter doit satisfaire au moins quatre exigences :

  1. Une adoption pour de bonnes raisons : améliorer le fonctionnement par rapport à un état antérieur ;

  2. Une compatibilité avérée avec l’existant : l’innovation managériale s’inscrit dans la philosophie de management établie au sein de l’entreprise et s’articule de façon satisfaisante avec les pratiques et méthodes existantes ;

  3. Un temps d’appropriation suffisant : laisser aux acteurs de l’organisation le temps de modifier leurs habitudes et d’intégrer progressivement l’innovation managériale dans leurs pratiques, expliquer l’utilité et le bien-fondé de cette nouveauté ;

  4. Un effet positif (ou neutre a minima) sur les conditions d’activité des collaborateurs : interroger les effets à moyen et long termes de l’adoption d’une innovation managériale, à la fois sur le registre qu’elle est sensée améliorer mais également de façon plus large sur le reste de l’organisation et des acteurs.

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