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Souvent tu tomberas. Plus souvent encore, tu te relèveras.


La fête de la défaite (ou « failure parties ») désigne un rituel ou un ensemble de pratiques qui visent à récompenser une équipe ayant connu un échec, comme par exemple la perte d’une part de marché ou celle d’un client important. Ce label, inventé par un consultant à Chicago spécialisé dans le développement de nouveaux produits, Thomas D. Kuczmarski, se rapporte bien évidemment aux échecs dits « intelligents » (« smart failures ») et non ceux répétitifs. Concrètement, il peut s’agir d’évènements avec remise de « prix de l’échec » (« failure award ») par le dirigeant de l’entreprise, de sessions présentant des projets infructueux, des booklets explicitant les leçons tirées et alimentant la mémoire organisationnelle… Selon les entreprises qui ont adopté ce rituel, fêter les défaites permet de dédramatiser les échecs et de favoriser l’apprentissage organisationnel ainsi qu’une meilleure gestion des crises. Cela permet aussi de cultiver le sens de la responsabilité face à une situation d’échec, au lieu de l’attribuer à un bouc-émissaire, à l’environnement ou à la malchance et ainsi créer une ambiance de travail plus saine. Ce rituel est particulièrement suivi dans les entreprises où l’innovation constitue le cœur de métier. Ainsi, l’on reconnait que l’échec fait partie du processus de création et qu’il pourrait devenir une ressource pour et par l’apprentissage. Par exemple, chez Intuit, entreprise américaine de développement de logiciel créée en 1983, pas d’innovation sans prise de risque, et pas de prise de risque sans le passage par des situations d’échecs. Le vice président de l’Intuit Labs Incubator, Hugh Molotsi indiquait : « You’re going to have to fall down and scrape your knees a few times. You learn more from your failures than your successes. And if you call it an experiment, you can’t fail. ». Ainsi, la fête de la défaite est peut-être plus qu’une mise en scène de la défaite. C’est un ensemble d’outils pour encourager l’expérimentation et les démarches d’essais-erreurs. Chez Intuit, l’innovation incrémentale est d’ailleurs favorisée et préférée à l’innovation radicale et de rupture, tout comme est valorisée l’expérimentation rapide et des modes de développement agile des projets. Des dispositifs et modes de management similaires sont développés et pratiqués dans des entreprises comme Google, Gore et Tata.


Avis de l’Observatoire : la valorisation de la défaite est une expression provocatrice et il y a une part rhétorique importante dans les dispositifs de mise en scène des moments d’échecs. Derrière les dispositifs mis en place pour capitaliser sur les échecs, se cachent en réalité des objets de management et des situations qui ne sont pas inédits. (1) Le fait d’apprendre à partir de ses erreurs et conséquemment de faire évoluer les processus et l’organisation est une forme d’apprentissage fondée sur des processus cognitifs complexes conduisant à développer de nouveaux modèles : des apprentissages en double boucle au sens de Schön et d’Argyris. (2) L’expérimentation rapide et les démarches d’essais-erreurs sont à la base du développement des projets en mode agile qui consiste à précipiter la concrétisation des projets pour faciliter l’interaction entre les développeurs du projet et le client. (3) La capitalisation sur les erreurs en vue de progresser renvoie incontestablement aux démarches d’amélioration continue et aux dispositifs de participation des opérationnels que le toyotisme avait introduit, dans l’immédiate après-guerre.

La rupture comportementale que contiennent les dispositifs de valorisation de l’échec correspond à un basculement de paradigme ancien, peut-être symbolisé par les travaux des années 1960 sur la motivation et la satisfaction au travail. Dans un papier de 1968, Frederick Herzberg faisait la contre éloge des styles de management de type KITA (« Kick in the ass! ») et montrait les bonnes propriétés de styles de management du type de ceux qui fondent les fêtes de la défaite. Ce qui est cependant plus nouveau dans ces dispositifs, c’est probablement la formalisation et la variété des dispositifs qui concrétisent la valorisation de l’échec ainsi que la communication qui vante une philosophie de management décomplexée et loin des systèmes de management de type contrôle/sanction.

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