Un Observatoire de l'Innovation Managériale ... est-ce utile ?
Par Sébastien Damart, Professeur des Universités (Université Paris-Dauphine)
Il est toujours possible de justifier les bonnes propriétés d’un dispositif qui « observe » le réel. La science a souvent considéré que l’observation était mère de connaissance et que pour produire des conjectures sur le fonctionnement du monde, il fallait d’abord s’en remettre à l’observation des faits.
En bon élève empiriste, je dirais que pour comprendre le management, il faut donc en observer les pratiques pour en inférer des récurrences ou des constantes. Dans cette perspective, l’Observatoire de l’Innovation Managériale est l’outil pour observer et donc l’instrument pour comprendre de quoi est faite l’activité de management, ce qu’en sont les enjeux et surtout comment elle évolue. L’Observatoire est la longue-vue de l’éclaireur, le télescope de l’astronome, la loupe du détective.
Néanmoins, si s’appuyer sur le raisonnement inductif suffit pour justifier l’existence d’un Observatoire de l’Innovation Managériale, il n’achève pas de convaincre totalement de son utilité, selon moi.
Dans une récente étude réalisée par la FNEGE sous la direction de Michel KALIKA (IAE Lyon, BSI), Sébastien LIARTE (Université de Lorraine) et Jean MOSCAROLA (Université de Savoie), nous découvrons que seuls 50% des managers interrogés dans le cadre de cette étude considèrent que la recherche en management a une utilité élevée à la conduite des affaires. Il est intéressant de se demander ce que peut recouvrir dans cette étude, cette notion d’utilité. S’agit-il de dire que la recherche en management donne les leviers pour rendre les organisations plus performantes ? S’agit-il de dire que la recherche en management donne à voir de nouvelles grilles de lecture pour enrichir les analyses utiles à la conduite des affaires ? Du coup, s’agissant d’un dispositif de veille et d’observation du management, à quoi renvoie la notion d’utilité ? Je suggère plusieurs réponses.
Une source d’alimentation en solutions de management alternatives
Les managers sont, dans la conduite de leurs activités, régulièrement confrontés à des situations problématiques. Nous pouvons considérer, un peu comme le fait la théorie du Garbage Can, que les organisations sont traversées de problèmes et de solutions (les prises de décisions étant le fruit de rencontres opportunes entre ces problèmes, ces solutions et des participants). Du coup, les organisations gagneraient à être alimentées de solutions pour offrir aux managers des alternatives supplémentaires pour résoudre les problèmes de management. L’Observatoire serait, dans ce sens, une potentielle source d’alimentation du flux de solution des organisations.
Rassurer pour convaincre d’expérimenter
Une littérature de recherche explique que les concepts de management sont « consommés » par les managers. Si l’on file la métaphore, nous pourrions considérer que l’Observatoire donne à voir des expériences innovantes en management, tentées par des innovateurs précoces (en marketing et en innovation, un innovateur ou adopteur précoce, ou early user est un consommateur qui adopte l’innovation avant la grande majorité des consommateurs). Dans cette perspective, l’Observatoire est un outil pour montrer les pratiques que des organisations (moins averses au risque que d’autres ?) ont tenté de mettre en œuvre. Et l’Observatoire de devenir un dispositif de rassurance ou un outil pour convaincre de l’adoption de pratiques de management (non nécessairement meilleures que d’autres, mais nouvelles et déjà expérimentées).
Provoquer le dialogue critique entre chercheurs et praticiens
Enfin, ma dernière réponse est celle qui concerne la recherche en management et ses liens avec le monde des praticiens. L’Observatoire de l’Innovation Managériale propose un peu plus que de la veille façon Twitter. Il injecte une expertise de recherche et d’évaluation critique dans la description des objets présumés innovants et ce faisant il provoque une forme de dialogue entre le monde académique et celui des professionnels du management. Pêle-mêle, cet échange conduit à interroger la pertinence des corpus théoriques produits par l’académie en management, à questionner la réalité des pratiques des méthodes de management présentées comme vertueuses, à évaluer les ruptures ou singularités réelles des objets présentés comme des innovations managériales ou encore à montrer les points aveugles des recherches sur les objets de management.