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Apprentissage informel

Le nombre de professionnels déclarant auto-apprendre via le numérique ne cesse d’augmenter. C’est aujourd’hui 61% des actifs qui estiment apprendre de façon autonome via les outils et contenus numériques[1]. Ces derniers leur ont permis de nouvelles pratiques d’apprentissage en situations informelles, c’est-à-dire en dehors des périodes explicitement consacrées à la formation.

Bien avant la notoire révolution numérique, qui s’est traduite notamment par la mise en réseau planétaire des individus et par les nouvelles formes de communication et de circulation des idées et informations, se développaient déjà des situations informelles d’apprentissage; certaines où (1) l’apprenant est acteur et conscient d’apprendre, puis d’autres où (2) l’apprenant n’a pas d’objectif conscient d’apprentissage.

La terminologie « apprentissage informel », émerge dans les années 1970 avec les premières recherches de Knowles (1975), considéré comme le père de l'andragogie. Puis, en 1996, trois chercheurs du Center for Creative Leadership (USA), démontrent, sur la base d’une étude auprès de 200 cadres, que l’individu apprend tout au long de sa vie et de façons diverses. Il ressort de cette étude des situations traditionnelles (off-the-job learning) et formelles d’apprentissage (c'est-à-dire les canaux des formations officielles et/ou certifiantes), mais à hauteur de 10% seulement du temps d’apprentissage. 90% des temps d’apprentissage concernent des situations informelles qui prennent leurs sources dans des moments d’apprentissage plus instantanés et désorganisés.

« Apprendre n’est pas seulement avoir une nouvelle intuition ou une idée neuve. Nous apprenons dans l’action, nous apprenons quand notre action est efficace, nous apprenons quand nous détectons et corrigeons une erreur. » (Argyris, 1995).

Une première approche de l’apprentissage informel, centrée sur l’action, est initiée par une intention d’apprendre ou une réflexion de départ. L’apprenant réalise qu’il a besoin d’apprendre quelque chose. L’apprentissage informel ici est qualifié de deliberate learning ou reactive learning, en opposition au second courant de pensée qui présente l’apprentissage informel comme "accidental learning" ou "non intentional learning". Il se traduit notamment par la recherche d’informations, sur le lieu de travail ou non via différents canaux : lectures, réseaux, interactions avec les « anciens », observation d’une personne ou d’un groupe, posture d’empathie.

Biggs (1987) conceptualise l’apprentissage informel comme « des composites de motivations et la stratégie des acteurs qui y est appropriée ». Les apprenants s’engagent dans des actions à travers des expériences ou expérimentations pour déterminer les règles, principes et stratégies pour leur performance. Ces apprentissages sont importants dans l’élaboration de l’identité professionnelle. L’objectif est de trouver sa place et de développer un contrôle « intelligent » de son apprentissage. La« prise de recul »permise dans cette approche permet de comprendre et d’améliorer un processus pour le rendre plus efficace ou confortable dans le quotidien des professionnels.Elle renvoie au concept d’apprentissage à « double boucle » (Argyris, 1995). La résolution à simple boucle indique une résolution de problème et se concentre donc sur sa résolution. L’apprentissage à double boucle implique une réflexion critique sur la manière dont les problèmes sont résolus. Ainsi, les personnes qui échangent, se placent en apprenant afin d’optimiser les solutions et processus. Les cinq situations propices à cette approche de l’apprentissage informel sont :

  • La réunion de travail qui fait appel à la construction de connaissances dans l’échange à partir du collectif. Elle est un lieu de questions/réponses, de débat, de feedbacks, d’information, de confrontation des idées et points de vue. Elle permet également de résoudre des problématiques inhabituelles et de se remettre en cause face aux différentes remarques. Elle favorise la transmission de savoirs, savoirs-être (prise de parole, confiance en soi, etc.) et savoirs-faire (présentation, animation d’une réunion, etc.). Le professionnel est invité à échanger, écouter, conseiller des personnes, qui ne font pas nécessairement le même métier, avec qui il devra travailler sur un projet commun. Les visions, parcours, intérêts différents des acteurs en fait toute sa richesse,

  • Le conseil, est souvent le processus utilisé lorsqu’il s’agit de trouver une solution au moment T d’un problème ciblé,

  • La capacité à développer un réseau et des communautés informelles d'apprentissage permet d’avoir accès aux codes et d’élargir l’accès aux ressources qui peuvent être nécessaires,

  • Seuls avec des ressources (lectures, exercices, etc.), certains apprenants privilégient des situations informelles d’apprentissage plus individuelles à travers un processus d’auto-apprentissage,

  • La mise en situation accompagnée. Une des plus notoires est le compagnonnage dans la transmission des « tours de main » plus ou moins officiels, représentatifs de la sphère industrielle du début du XXème siècle. Nous sommes ici dans le processus d’apprentissage qui se rapproche le plus d’un processus d’apprentissage formalisé. C’est une forme d’entrelacement du formel et de l’informel ou une formalisation des apprentissages informels au sein des entreprises.

Cette dernière pratique reprend la procédure tacite ou explicite ci-dessous :

  • Un diagnostic de « l’expérimenté » qui constate une défaillance dans la pratique du professionnel,

  • Une investigation (par discussion) sur les causes de la pratique lacunaire. Elle permet de cibler le problème à sa source,

  • Les indications de « l’expérimenté » sur les mécaniques à accomplir, l’attitude à avoir avec une démonstration éventuelle. La démonstration permet de faire intervenir une mémoire gestuelle,

  • Une progression de l’apprenant par essais/erreurs/corrections successifs,

  • Ensuite, l’appropriation des mécaniques,

  • Puis, l’apprenant pour valider son acquis, demande l’avis de son « tuteur ». Cela permet une reformulation.

Une seconde approche de l’apprentissage informel est centrée sur l’imprégnation fortuite : l’apprenant n’a pas d’objectif conscient d’apprentissage. Le processus d’accumulation des nouvelles connaissances se produit ici grâce à l’adaptation progressive des comportements déjà acquis, à travers des ajustements et des corrections successives afin de s’adapter aux exigences de l’organisation et du métier. Le processus d’apprentissage est de type fortuit et adaptatif, car il se produit à travers la sélection de nouvelles options provenant de l’extérieur et qui vont s'ajouter à l’univers des connaissances déjà présentes à l’intérieur de l’entreprise. Ce qui entraîne contamination et fertilisation au sein des organisations. L’imprégnation est « le changement progressif et inconscient de comportement ou de conception, voire de pratique, dû à la fréquentation rapprochée de personnes influentes ou à la diffusion par la structure de valeurs ou mots d’ordre, [qui] constitue un processus de sédimentation lent mais efficace » (Lemaître, 1984). Ce processus ne peut fonctionner que lorsque l’apprenant repère des modèles dans son entourage, possède un réseau capable de diffuser des messages forts, et une solide identité de groupe. La nature implicite de l'apprentissage informel rend difficile l'observation des situations concrètes d’apprentissage. Il est diffus et continu au quotidien, notamment lors de réalisations de tâches nouvelles et stimulantes. Toutefois, les deux situations propices à cette approche de l’apprentissage informel sont :

  • La socialisation: L’apprentissage dans l’interaction ou le near-the-job learning, auprès des autres, est un héritage de l’enfance. En effet, l’enfant commence déjà à apprendre en imitant ses parents, professeurs des écoles ou autres référents. L’apprenant adulte se réfère à ses pairs, à sa hiérarchie et à toutes les autres opportunités d’interactions qui lui sont offertes. En entreprise, on parlera de "social learning" (Lave et Wenger, 1991), qui consiste à mettre en place des moments puis outils de partage de connaissances entre apprenants, dans une optique collaborative. Il s’agit d’un apprentissage naturel, des valeurs, attitudes, comportements, savoir-faire et connaissancesà travers l’imitation sociale (Bandura, 1962) qui passe par l’observation, l'interaction et l'écoute des autres,

  • L’apprentissage fortuit développé grâce aux modifications des éléments qui composent l’environnement intégrés à l’activité quotidienne. Il s’agit ici de sortir ou de modifier les routines de travail quotidiennes qui permettent de découvrir alors un nouveau rôle, des nouvelles tâches en dehors des responsabilités professionnelles habituelles, une culture et une manière de pensée différents. La vie quotidienne elle-même est aujourd’hui amplement reconnue comme source des apprentissages opportunistes les plus variés, que ce soit au travail, dans les loisirs ou toutes les activités personnelles. Cela peut être une modification majeure telle qu’une réorientation professionnelle par exemple ou simplement des déplacements, des nouveaux projets, de nouveaux outils, etc.

Ces théories rejoignent celles de Jean Piaget. Ce dernier définit « l’adaptation » comme l'état d'équilibre optimal entre un organisme vivant et son milieu. Puis, ces situations informelles d'apprentissage font également référence au prémices de la construction des connaissances des organisations dans le cadre de la spirale de la connaissances (Nonaka et Takeuchi, 1995). La connaissance se crée et se développe dans l’interaction sociale jusqu’à l’intériorisation et l’adoption des connaissances tacites par les professionnels par le biais de nouvelles routines.

« We are entering – or we have already entered – in the knowledge society, in which the basic economic resource […] is the knowledge itself […] and where the worker of knowledge will perform a central role. » (Drucker, 1993).

Une culture de l’apprentissage tout au long de la vie ou du lifelong learningvient concurrencer la culture ancienne de la formation (training). Entre 1986 et 2006 a été menée une étude longitudinale sur 20 ans à l’Université de Carnegie. Celle-ci indique que la part des connaissances stockées en mémoire et nécessaires à l’agir professionnel est estimée par les travailleurs en diminution constante : 75% en 1986, 20% en 1997, puis 10% en 2006. « Cette étude suggère une augmentation des besoins en apprentissage informel sur les lieux de travail du fait des évolutions constantes. » (Cristol et Muller, 2013). Au-delà des transformations qui marquent les paysages sociaux, économiques et organisationnels, Internet a généré une fracture dans les modes d’accès et le rapport au savoir. Les professionnels témoignent d’un apprentissage intense, opérationnel et autosuffisant, grâce aux outils numériques, renforcés par un monde interconnecté croissant où chacun peut s’appuyer sur différents outils pour apprendre. Cela peut passer par une simple recherche Google au suivi d’un tutoriel ou d’un Mooc plus élaboré.

[1] En France, une étude du HRM Digital Lab , administrée en 2016 par Kantar TNS (ex-TNS Sofres) montre que plus de la moitié (52%) des actifs. La même étude conduite en 2018, administrée par Opinion Way a démontré une évolution de ce chiffre allant jusqu’à 61%.

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