La théorie des modes managériales
La théorie des modes managériales est née au milieu des années 1980 d’une série d’observations pour le moins étonnantes. Depuis environ 40 ans, les pratiques de gestion suivent un cycle de vie de plus en plus court, marqué par des pics de popularité de plus en plus élevés (Abrahamson et Fairchild, 1999). Cette théorie portée par les travaux pionniers de Christophe Midler (1986) et d’Eric Abrahamson (1986) tente, par conséquent, de comprendre le mécanisme complexe de diffusion et d’adoption des pratiques de management au sein des organisations.
Christophe Midler (1986) a démontré qu’une pratique de gestion suivait un cycle de vie composé de quatre phases caractéristiques, et précise que ces étapes se reproduisent à l’identique, quelle que soit la pratique de gestion concernée. Il s’agit des phases dites d’invention, de découverte, d’explosion et de déclin. La phase d’invention traduit la période d’élaboration du dispositif et du discours qui en fait la promotion ; la phase de découverte désigne la reconnaissance du dispositif par les leaders et les experts du marché ; la phase d’explosion traduit le moment où la pratique et son discours quittent l’univers restreint des leaders et des experts pour venir se propager à l’ensemble du débat public ; et la phase de déclin, enfin, se caractérise par une prise en compte collective des limites de ladite pratique. Les théoriciens affirment qu’au processus d’institutionnalisation, marqué par la séquence d’explosion, succède l’inéluctable perte de légitimité qui assure le renouvellement perpétuel de l’offre managériale. Le cas du « Management par la Qualité Totale », illustre parfaitement ce phénomène. En 1985, Lawler et Mohrman observent que la quasi-totalité des 500 plus grandes firmes mondiales a entrepris un projet de « Management par la Qualité Totale ». Or, trois années plus tard, 80 % d’entre elles ont abandonné ce projet au profit d’un dispositif jugé plus performant. Cet exemple, particulièrement bien documenté, n’est qu’une référence parmi d’autres.
Ainsi, Abrahamson et Fairchild (1999) définissent les modes managériales comme des « croyances collectives transitoires, qui sont disséminées par le discours des professionnels des savoirs managériaux, qui décident qu'une technique de management est à l'avant-garde d'un progrès rationnel du management ». Cette théorie s’inscrit en droite ligne avec la théorie néo-institutionnelle, c'est-à-dire, qu’elle s’accorde sur le fait que les facteurs d’ordre macrosociologique, à l’instar du système de règles institutionnelles, du mimétisme ou de la quête de légitimité tendent à expliquer la diffusion d’une pratique de gestion. La théorie des modes managériales a néanmoins la particularité d’étudier les phénomènes de diffusion à l’aune de la sociologie des modes, c'est-à-dire, qu’elle appréhende les phénomènes d’adoption comme une marque de subordination aux normes sociales.
Avis de l’observatoire : Les théoriciens des modes managériales s’intéressent à la diffusion des pratiques de gestion, que leur efficacité ait été prouvée ou non (Thévenet, 2003). C’est en effet l’intensité et la nature de la dissémination qui caractérisent un phénomène de mode managériale et non l’efficacité réelle ou supposée du dispositif qui en fait l’objet. Ainsi, les travaux des théoriciens des modes managériales pourraient laisser imaginer que les managers sont irrationnels, voire déraisonnablement soumis au dictat des règles institutionnelles. Or, une analyse approfondie témoigne au contraire que ces acteurs sont, pour une grande part stratèges. Ils instrumentalisent, en effet, les signaux associés aux pratiques de management en vogue afin de séduire les parties prenantes et favoriser l’accès aux ressources de l’environnement. Loin d’être des victimes de la mode, les chercheurs Barry Staw et Lisa Epstein (2000) observent, en effet, que nombre de managers instrumentalisent à leur profit le phénomène des modes managériales. Et pour cause, « prendre le train en marche » semble pouvoir générer de multiples bénéfices.